Catherine Renaud : “Être traductrice, ça permet quand même un éventail d’expériences assez incroyable.”
Traductrice du suédois et du danois vers le français, Catherine Renaud se frotte tant aux polars, à la BD, à la littérature générale qu’à la littérature jeunesse. C’est d’ailleurs à elle que nous devons les traductions les plus récentes des œuvres pour adultes et pour enfants de Tove Jansson.
Vous avez deux maîtrises en langue, un doctorat en Lettres portant sur Claude Ponti. Vous voici désormais traductrice du danois et du suédois vers le français, de littérature générale et jeunesse. Votre parcours semble aussi riche et varié que cohérent…
Parfois, on part dans tous les sens, on pense qu’on a un parcours très étrange et en fait, tout se rattrape à la fin et fait sens !
La littérature jeunesse, c’est vraiment pour moi un des fils rouges de ma vie. Mais les traducteurs de langues rares ont souvent des parcours totalement tortueux et c’est ce qui fait que chacun a sa spécificité, son histoire de vie, par rapport à ceux qui font une formation disons plus standard, avec un master de traduction à l’université.
Comment se fait-il que ces parcours soient plus atypiques que pour des langues comme l’anglais ou l’espagnol, par exemple ?
Lorsqu’on fait un master de traduction en anglais, on arrive potentiellement plus simplement au métier de traducteur à la fin de ses études, il n’y a pas besoin de faire des allers et retours et de prendre des chemins différents comme les gens qui s’occupent des petites langues.
Même s’il y a de plus en plus de masters et de formations en langues plus rares, on passe souvent par la découverte d’autres métiers avant, on n’arrive pas forcément à la traduction directement.
On passe parfois par d’autres parcours de vie. Et quand on maîtrise les petites langues, on peut éventuellement se dire "tiens finalement, c’est ça que j’ai envie de faire".
À quel moment de votre parcours la traduction s’est-elle présentée ?
Ça s’est fait en plusieurs étapes ! Pour schématiser très vite, j’ai vécu entre mes 20 ans et mes 30 ans en Scandinavie (Danemark, Finlande et Suède). À la base, j’étais partie pour y vivre et y rester, puis la vie a fait que je suis revenue en France vers mes 30 ans. J’étais en train de finir ma thèse de doctorat, je n’avais pas très envie d’aller travailler à l’université en France après avoir goûté à l’université en Scandinavie, ce n’étaient pas les mêmes conditions. En plus, je venais d’avoir un bébé. Donc la traduction semblait une bonne façon de conjuguer le retour en France, le lien avec les pays scandinaves et puis la vie de tous les jours. Après, j’avais quand même déjà fait quelques co-traductions avec mon père, qui était professeur de littérature scandinave (Jean Renaud, ndr). Mais dans un premier temps, je ne pensais pas m’orienter vers cette carrière.
Il y avait donc des antécédents familiaux !
Oui, voilà ! Même si ça ne fait pas toujours tout (rires). J’ai deux sœurs, elles n’ont rien à voir avec la Scandinavie : il y a une qui vit en Belgique et l’autre aux États-Unis et font totalement autre chose. Enfin, on reste dans la littérature : l’une est bibliothécaire et autrice jeunesse et l’autre linguiste et universitaire. Mais c’est vrai que je suis née au Danemark et j’avais deux ans quand on est revenus en France. On y retournait souvent en vacances et ce lien avec les pays scandinaves existe depuis que je suis toute petite, ça c’est sûr.
La Scandinavie, et le Danemark en particulier, font partie de ma vie.
Donc c’est logique d’y rester attachée.
Cela a-t-il eu un impact sur le choix de vos études ?
Ça a certainement contribué à mon amour des langues, je pense. J’ai toujours aimé ça. Donc après avoir fait un bac de langues, puis une année d’hypokhâgne à Henri IV, je me suis aperçue que ce n’est pas du tout ce que j’avais envie de faire. J’ai enchaîné alors un double cursus anglais et langues scandinaves. Et français aussi, parce qu’il est très important de maîtriser la langue source, mais aussi la langue cible quand on est traducteur.
Quel a été votre parcours professionnel avant d’en venir à la traduction ?
En parallèle avec ma thèse, j’ai enseigné le français, avant, pendant et après ! Et même maintenant je me garde quelques heures de présentation de ce qu’est le métier de traductrice au master de création éditoriale à Clermont-Ferrand. Ils ont aussi des cours de littérature jeunesse et il m’est arrivé de donner des cours en licence de littérature jeunesse. Je garde ainsi un tout petit orteil dans le monde universitaire.
Quelle a été votre première traduction en solo ?
C’était Pierrot le Grand, un album jeunesse de Halfdan Rasmussen. Pour la petite histoire, ça forme une jolie boucle. Mon papa avait évidemment une belle bibliothèque de livres scandinaves et mon premier grand souvenir de lecture, c’était un abécédaire de ce même auteur. Halfdans ABC est un classique de la littérature jeunesse danoise qui date de 1967, toujours très populaire au Danemark ; il y a des choses assez effrayantes entre ses pages ! Je me souviens de me glisser dans le bureau de mon papa, quand j’étais toute petite, d’aller fouiller dans les albums qui étaient en bas des étagères. Et il y avait celui-là qui me fascinait vraiment, tout en me terrorisant un peu aussi !
Comment s’est présentée cette première opportunité ? C’était une volonté ou bien un hasard des choses ?
C’est grâce à ma thèse ! Quand j’étais doctorante, j’ai participé au seul et unique colloque de littérature jeunesse à Cerisy. Le monde de la littérature jeunesse est tout petit. Étant doctorante venant de Suède, je n’étais pas hébergée avec le groupe des doctorantes françaises. J’ai pu partager une tour de château et une extraordinaire bibliothèque avec un professeur belge qui s’appelait Michel Defourny. Et en remontant dans notre tour, on avait beaucoup discuté. Il se trouve qu’il connaissait bien un éditeur jeunesse, Circonflexe, qui cherchait un traducteur du danois pour Pierrot le Grand. Et c’est comme ça que ça s’est fait. Totalement grâce à la littérature jeunesse. C’était une très chouette expérience, mais pas simple car l’album est en rimes, comme c’est souvent le cas en Scandinavie. Donc je suis tombée directement dans le grand bain de devoir faire rimer et jouer avec les sonorités. Tout ce que j’aime maintenant, mais à l’époque c’était assez impressionnant, d’autant que le livre avait aussi un petit côté suranné, comme il date de 1950.
Que gardez-vous comme souvenir de cette première traduction ?
Un excellent souvenir. J’ai énormément aimé. Par contre quand l’éditeur m’a envoyé un message suggérant de faire des alexandrins, je me suis dit qu’on allait peut-être se contenter des rimes (rires). J’ai beaucoup aimé jouer avec les mots. Et il y a des paragraphes dont je suis assez fière et que j’aime encore présenter dans les cours sur le métier de traducteur. Je donne aux étudiants le mot à mot et à eux de proposer quelque chose.
Ce qui leur montre que traduire un album jeunesse, c’est peut-être court, mais ce n’est pas forcément facile.
Ne serait-ce qu’un paragraphe à mettre en mots, en vie, à faire rimer, c’est beaucoup plus complexe que ça en a l’air.
Vous avez l’impression que certaines personnes considèrent que traduire de la littérature jeunesse serait plus simple que de traduire de la littérature générale ?
Oui, alors que finalement pas du tout ! Enfin ça dépend bien sûr du texte. Là, par exemple, je viens de faire un tout petit texte, a priori très basique. Mais parfois ce sont ceux-là qui sont les plus compliqués à traduire pour les enfants français. Ce sont d’autres difficultés que les romans. Mais il ne faut pas sous-estimer la littérature jeunesse, et les albums en particulier, parce que c’est encore considéré en-dessous de la littérature jeunesse. Par méconnaissance. L’usage de penser que la littérature jeunesse est un peu moins importante a la vie dure.
En préparant votre thèse, c’est quelque chose que vous aviez déjà ressenti que la littérature jeunesse était moins considérée que la littérature générale ?
En Scandinavie pas vraiment, mais en France, oui très clairement. Mais enfin comment peut-on faire une thèse de doctorat sur Claude Ponti ? Ça semblait assez fou à l’époque. Ceci dit, le doyen de l’université d’Uppsala avait tout de même tiqué sur la couverture de la mienne - en Suède les universités publient les thèses des étudiants -, lorsqu’il avait vu Blaise le poussin masqué se promenant dessus. Mais j’ai quand même réussi à le maintenir, j’étais très fière de moi. En plus, c’est tout à fait le personnage de ce petit poussin, qui va jouer avec les autorités et tout ça, donc c’était très bien.
Vous étiez doublement subversive ! Claude Ponti, sur le plan du langage, c’est un univers tellement riche et novateur que ça doit être un enfer à traduire…
D’ailleurs il y en a très peu des traductions de Ponti ! Et je peux le comprendre. Il invente tellement de mots sur lesquels sont basées ses histoires, et puis des jeux de mots. Et en plus, il y a le dessin, donc on ne peut pas trop s’en détacher. Ce doit être une tâche particulièrement ardue…
Pour revenir à la traduction de manière plus large, vous traduisez à la fois le danois et le suédois. Est-ce que ce sont des langues très proches ?
Les langues scandinaves, surtout à l’écrit, sont très proches. À l’oral, c’est un peu plus compliqué.
Mais à l’écrit, quand on en connaît une, on peut lire plus ou moins bien les trois. Souvent on dit - pour faire très schématique bien sûr - qu’il y a le danois, le suédois et le norvégien au milieu, qui serait un mélange des deux premières, le norvégien ayant été sous influence danoise pendant très longtemps. Mais il y a deux norvégiens : le norvégien classique et le néo-norvégien, qui est un peu plus difficile. J’ai besoin de le lire à voix haute pour le comprendre. Il existe aussi de très nombreux dialectes, ce qui n’est pas toujours facile à traduire.
Quand on parle des langues nordiques, on rajoute le finnois. Et puis il y a l’islandais et le féroïen qui seraient presque comme le latin par rapport au français : on reconnaît un mot sur quatre, c’est très frustrant. Mais on peut saisir le contexte de ce qui se dit.
C’est donc entre l’écrit et l’oral que la différence se fait principalement ?
La prononciation change quand même pas mal de choses. Et puis il y a la question du politiquement correct aussi, entre Scandinaves, tout dépend si les gens veulent essayer de se comprendre ou pas.
Tout ça joue donc sur la façon de prononcer tous ces mots qui, à l’écrit sont très semblables. Pourtant, ces lettres qui font si exotiques et typiques de la Scandinavie dans l’imaginaire français : le "ø" danois ou norvégien est la même chose que le "ö" en suédois, elles se prononcent presque de la même manière. En revanche entre toutes ces langues, il y a des faux-amis et il faut toujours s’en méfier. Mais généralement le contexte aide à s’en rendre compte.
Il y a des traducteurs qui ne traduisent qu’une seule langue, mais souvent les traducteurs du scandinave ont deux ou trois langues. C’est assez courant. D’autant plus que nous sommes peu nombreux. Donc soit c’est par choix, soit par nécessité, c’est-à-dire que si je n’avais pas eu le suédois, et en particulier les polars, j’aurais eu plus de mal à m’en sortir à ne traduire que le danois par exemple. Je préfère vraiment traduire le danois, parce que c’est ma langue de base. Le suédois, je l’ai appris un peu plus sur le tard en Finlande et en Suède, puisque je travaillais à Turku à l’université suédophone de Finlande. Mais j’aime beaucoup traduire du suédois aussi ; ça me demande juste un tout petit peu plus de travail, parce que ce n’est pas non plus tout à fait la même grammaire. Je me sens tout de suite beaucoup plus à l’aise avec le danois. Paradoxalement, si on fait le décompte, j’ai traduit beaucoup plus de livres du suédois, parce que les albums que j’ai traduits sont quasiment tous suédois.
Avoir deux langues à traduire aide ainsi à vivre du métier de traducteur, j’imagine ?
Oui, surtout que les éditeurs vont plus facilement vers le suédois que vers le danois. C’est une tout petite langue, un tout petit pays, moins connu. En particulier pour les albums, les éditeurs français sont plus réticents : ils peinent avec le graphisme, ils vont un cran trop loin selon eux, sur plein de sujets. Déjà, les Suédois traitent de choses très importantes dans les albums, mais les Danois cassent tous les genres, ils vont très très loin. Je me souviens avoir proposé auprès d’éditeurs français un album sur l’euthanasie, ça n’a jamais marché, bien sûr... J’en ai lu un très récemment sur une petite fille qui découvre la masturbation...
Là je prends des exemples extrêmes, mais les tabous sont beaucoup moins importants sur certains sujets que chez nous.
À quoi est due cette liberté de ton, d’après vous ?
Peut-être une sorte de liberté et de respect dans la société et la culture. Même si à la base, les Scandinaves viennent d’un protestantisme très strict. Donc il y a quand même une partie des lecteurs scandinaves qui ne sont pas d’accord quand ce genre de textes est publié, il ne faut pas se voiler la face non plus. Mais il y a une certaine liberté d’expression qui prévaut.
Vous parliez des polars. Est-ce que l’explosion de leur publication en France a permis de mettre aussi en valeur d’autres types de littératures venant du Nord ?
Je pense que ça a eu un impact.
J’aime beaucoup les polars scandinaves, parce que je trouve qu’ils ont quand même la spécificité de dépeindre la société et ses maux.
Alors même que cette société scandinave, soi-disant si extraordinaire, est toujours prise en exemple pour toutes les politiques. Et en fait, il y a aussi beaucoup de problèmes en Scandinavie, ce qui transparaît particulièrement dans les polars. Et je trouve que c’est une manière intéressante d’aborder la littérature. Je continue d’ailleurs volontiers à traduire des polars, même si maintenant on me demande davantage de textes plus littéraires.
Là, par exemple, il y en a un qui est paru très récemment : Féminicide de Pascal Engman chez Nouveau Monde éditions. Il parle du phénomène des “incels”, ces célibataires involontaires, qui vient des États-Unis, mais existe aussi en Suède et un peu en Europe aussi je pense. Et je l’ai trouvé passionnant, parce qu’on a une sorte de puzzle de points de vue qui se met en place petit à petit. On a ainsi leur point de vue avec l’expression de leur frustration ; on en vient presque à compatir, à comprendre en tout cas, pourquoi ils en arrivent là, notamment par rapport aux féministes qu’ils accusent de tous les maux. Je trouve ça assez fascinant de pouvoir traduire ces choses-là.
Il y a forcément une diversité des textes. Mais que pensez-vous qui fasse la spécificité des littératures suédoises et danoises ?
Le côté social de la littérature revient, la nature joue un rôle important dans la littérature scandinave, elle représente souvent un personnage à part. Peut-être davantage dans la littérature suédoise, norvégienne et finlandaise. Les Danois sont un petit peu moins nature comparés aux autres.
Parmi les auteurs ou textes incontournables de ces littératures, qui pourriez-vous citer ? Quels sont ceux qui ont vos préférences ?
Pour citer des titres scandinaves classiques, bien sûr Hans Christian Andersen. Parmi ses contes, je peux recommander cette édition de La Petite Sirène sous forme d’album, traduit par Jean-Baptiste Coursaud et illustré par Benjamin Lacombe, en particulier pour la mise en avant de l’interprétation de ce conte, et des amours malheureux d’Andersen pour le fils de son bienfaiteur, connue depuis un certain temps au Danemark, mais qui était encore ignorée des Français (et qui est aussi présente dans un polar que j’ai traduit, La Mort d’une sirène).
Karen Blixen bien sûr (et encore des contes comme Les Fils du roi, traduits par mon père, Jean Renaud). Peut-être Tove Ditlevsen, qui est une autre autrice classique, très récemment traduite par Laïla Flink Thullesen et Christine Berlioz (aux éditions Globe, ndr).
Pour la Norvège, je ne saurais que trop recommander Les Oiseaux de Tarjei Vesaas, (re)traduit de façon bluffante par Marina Heide (publié chez Cambourakis, ndr).
Suède ? Selma Lagerlöf, et là encore, certes Le Voyage de Nils Holgersson est toujours un plaisir à (re)lire, mais n’oublions pas que cette grande dame a reçu un prix Nobel pour son œuvre, pour les amateurs de grandes sagas je peux citer La Légende de Gösta Berling. Astrid Lindgren est la star de la littérature enfantine suédoise, comme Tove Jansson est celle de la littérature suédophone de Finlande. À la différence que cette dernière était aussi artiste peintre, sculptrice et aussi autrice de romans et nouvelles pour adultes extraordinaires, et je me sens très chanceuse d’avoir eu l’occasion d’en traduire quelques-uns. D’autant que lorsque j’étais en Finlande, mes étudiants m’avaient offert un des albums - que j’ai retraduit par la suite - Qui va rassurer le tibou ? à l’occasion de mon départ. Il y a toujours des fils rouges dans une vie, c’est fascinant de les voir réapparaître au fil des années. Tove Jansson est une autrice que l’on découvre peu à peu en France, qui vaut vraiment le détour.
Le théâtre scandinave est très fort aussi, très intéressant. Et le théâtre jeunesse est d’une richesse et d’une créativité sans nom.
Pour citer des contemporains, j’aimerais me concentrer sur le Danemark, car c’est toujours un peu le parent pauvre dans les rayons de littérature scandinave par rapport aux Suédois notamment. Je ne peux que conseiller Solvej Balle dont les premiers tomes de son projet extraordinaire, Le volume du temps, sont sortis récemment chez Grasset. J’aurais vraiment adoré la traduire - mais je suis sûre que Terje Sinding aura fait un excellent travail. Tine Hoeg a une écriture fascinante et fait partie de mes coups de cœur répétés, même si elle n’est pas traduite pour l’instant. Ce serait un vrai challenge de traduction, car elle écrit dans une sorte de prose poétique très particulière.
Dans un style tout à fait différent, l’écriture de Malene Sølvsten dans son univers de fantasy basée sur la mythologie nordique et la réalité du Jutland me plaît énormément. Je la cite car elle est traduite en anglais et en allemand et ses livres font partie des titres que j’espère avoir le plaisir de traduire en français un jour…
En jeunesse, j’espère que Cecilie Eken sera traduite en français. J’avais traduit une de ses nouvelles il y a quelques années. Sa façon de réécrire les contes et les classiques me fascine et son style est toujours parfaitement adapté à ce qu’elle écrit.
Parmi celles que j’ai traduites, l’autre autrice contemporaine danoise au style extraordinaire est Rakel Haslund dont j’ai eu la chance de traduire Après nous les oiseaux, publié en France dans une collection de littérature de l’imaginaire (chez Robert Laffont, ndr), mais qui a à mon sens toute sa place en littérature générale.
Je m’identifie beaucoup à l’humour de Stine Pilgaard, à son expérience du Jutland et du quotidien. Elle me fait penser à une autre autrice, Dorthe Nors, dont j’ai aussi eu la chance de traduire un roman, Ceinture, Rétro, Clignotant (publié par La Croisée, ndr).
Et n’oublions pas Johanne Lykke Holm qui est suédo-danoise, dont je suis en train de traduire le second roman. Elle écrit en suédois, mais est aussi traductrice du danois en suédois (on a traduit quelques titres identiques) et possède elle aussi un style incroyable.
Concernant Tove Jansson, vous avez traduit plusieurs de ses textes parus pour la jeunesse chez Cambourakis et pour la littérature générale chez La Peuplade…
Elle a écrit énormément de choses. De magnifiques textes pour adultes qui sont encore un peu moins connus que ses Moomins. En jeunesse, outre les romans sur les Moomins qui sont publiés chez Le Petit Lézard, elle a fait trois albums, qui sont Que crois-tu qu’il arriva ?, Qui va le rassurer le tibou ? et Le Dangereux Voyage. Les ayants-droits ont décidé de créer des albums à partir des romans jeunesse pour faire découvrir les histoires de Tove Jansson aux plus jeunes avec des dessins dans l’esprit de l’artiste. Et j’ai aussi traduit ceux-là, même si au début j’ai hésité parce que ma casquette de chercheuse se disait que ce n’était pas elle qui les avait écrits. Mais ceux-là, publiés chez Cambourakis, sont vraiment dans l’esprit des romans et les illustrations correspondent vraiment à son style, l’atmosphère de ses romans. On sent que les ayant-droits gèrent d’une main de fer la manière dont les textes sont traités. Donc ça donne lieu à des petits textes très sympathiques à traduire. Et ma casquette de chercheuse est rassurée.
Qu’a-t-elle apporté à la littérature ? Qu’a son écriture de particulier ?
Elle a vraiment l’art de raconter les histoires. En peu de mots, elle sait poser une histoire ; on le voit avec les nouvelles pour adultes comme celles qui viennent de paraître, Voyages sans bagages chez la Peuplade. C’est assez bluffant. Elle est suédophone de Finlande, et on sent ce personnage supplémentaire qu’est la nature. C’est également quelqu’un qui était politiquement très engagée : elle critiquait la guerre, puisqu’elle a vécu pendant la 2nde Guerre Mondiale ; elle a fait des couvertures de magazines très anti-nazis, alors que la position de la Finlande était un peu complexe durant la guerre. Elle était aussi homosexuelle, ce qui pouvait vous condamner à de la prison à l’époque ; mais elle a vécu librement, notamment sur son île.
Par plein d’aspects, elle est extrêmement novatrice et avant-gardiste.
Et puis elle a un style très particulier, pour revenir plus spécifiquement aux textes : elle n’est pas facile à traduire (rires) ! Ça donne l’impression que le texte coule tout seul, mais il y a une vraie complexité dans sa façon d’écrire. Donc là aussi, c’est passionnant à travailler.
Par rapport à votre métier de traductrice, qu’est-ce qui vous enthousiasme particulièrement ?
J’aime beaucoup pouvoir passer d’un album sur apprendre à faire du vélo à un polar où on scie des personnes en mille morceaux presque dans la même journée. Même si une des règles que j’essaye de suivre est de ne pas mélanger les langues : soit je traduis du danois, soit du suédois. Et en général je ne traduis qu’un gros projet à la fois, que je peux entrecouper de plus petits comme les albums pendant les temps de repos entre les différents stades de la traduction. Se promener d’un univers à l’autre, quel régal ! Et puis quand on traduit, on lit le texte d’une manière très particulière. C’est une expérience de lecture qui n’est pas semblable à une expérience de lecture classique. On ingurgite le texte, il devient le nôtre le temps de la traduction. Et puis on le redonne et il ne nous appartient plus. Mais cette expérience de se l’approprier, d’avoir cette impression que c’est SON texte le temps du travail, est assez magique.
Pour certains textes, ça provoque vraiment des choses émotionnellement profondes. Pour Après nous les oiseaux, par exemple, de Rakel Haslund, je me suis laissée emporter par la traduction du texte. Pour Strega aussi. J’avais l’impression que j’étais guidée par le texte, que ce n’était pas moi qui traduisais. C’est assez extraordinaire comme sensation.
Il y a beaucoup de gens qui demandent aux traducteurs pourquoi on n’écrit pas un texte à nous, comme si traduire était moins bien que d’être auteur. La plupart des auteurs possèdent un style qui leur est propre - même si certains auteurs jouent parfois à s’essayer à différents genres, évidemment.
Quand on est traductrice, ça permet quand même un éventail d’expériences assez incroyable.
Je suis contente de pouvoir toucher à tout : de la BD, de la poésie, des chansons…
Certaines maisons d’édition vous semblent-elles plus ouvertes à la littérature nordique ?
En jeunesse, il y a bien sûr Cambourakis qui publie beaucoup d’albums suédois, mais aussi des BD ou des romans de littérature générale. Thierry Magnier est particulièrement ouvert aussi et a beaucoup contribué à faire découvrir la littérature nordique. En fait, comme souvent, ce sont peut-être les éditions jeunesse qui sont plus ouvertes aux expériences différentes, à une créativité différente.
C’est une de mes petites idées que la littérature jeunesse se permet d’aller au-delà, d’expérimenter plein de choses qu’on n’ose parfois pas faire en littérature générale.
On retrouve ainsi des titres nordiques chez Hachette ou l’Ecole des loisirs (Astrid Lindgren notamment), Rageot, PKJ, Plume de carotte (la série des Pettson et Picpus), Versant Sud, La Joie de Lire, ou Sarbacane, Jungle pour les BD pour ne citer que quelques exemples
Chez les adultes, Il y avait Gaïa, qui était vraiment estampillée littérature scandinave. Actes Sud pour les polars, mais aussi en littérature générale, Zulma, la Peuplade, Le Bruit du monde, Grasset, Gallmeister, Robert Laffont, Buchet-Chastel, Agullo (lire l’entretien avec Sébastien Wespiser, directeur commercial d’Agullo)…
En fait, une grande partie des maisons qui font de la traduction s’intéressent à la littérature nordique, dans tous les domaines.
Est-ce qu’il y a des auteurs que vous aimez particulièrement retrouver ?
J’aime toujours retrouver Tove Jansson, ça c’est sûr ! Et j’ai beaucoup aimé traduire Le Pays des phrases courtes de Stine Pilgaard (publié par Le Bruit du monde, ndr). Parce que ça se passe là où je suis née ! Le milieu du Jutland n’est pas un endroit dont on entend parler tous les jours. Il y avait même le nom de la toute petite ville où je suis née. Donc c’était un vrai plaisir, rien que pour ça. J’aime aussi beaucoup Stine Pilgaard, parce qu’elle a un humour que j’apprécie énormément. Si j’écrivais, puisqu’on l’évoquait, j’aimerais écrire comme elle. C’est cet espèce d’humour noir sur la vie du quotidien, mais qui garde malgré tout toujours un sourire sur toute situation. Et puis elle mélange les genres aussi : les chansons, des passages beaucoup plus poétiques avec des passages plus classiques.
Dans un autre style totalement différent : Johanne Lykke Holm. C’est un style très étrange, c’est vraiment un roman d’atmosphère. Strega chez La Peuplade a été une expérience très particulière ; je suis sûre de ne pas avoir tout compris. Mais c’est ce genre de romans où on est emporté dans une espèce d’atmosphère, d’ambiance. On est loin du thriller plein d’actions ! On est pris dans une description de cet univers très étouffant, et là dans le suivant, que je viens justement de commencer à traduire, ce sera pareil : une vraie expérience sensorielle de la canicule et de la maternité. Dans les littératures scandinaves, il y a beaucoup de répétitions, en particulier dans les polars : il peut y avoir 10 "il dit" de suite, ça ne gêne personne. C’est un vrai cauchemar quand on est traducteur ! Et parfois, on prend même plus de temps à trouver une traduction correcte que de suivre un texte plus complexe, qui finalement se laisse suivre tout seul. Dans Strega, il y avait beaucoup de répétitions, mais à chaque fois ce n’était pas tout à fait le même mot : il y avait une petite nuance ; j’ai trouvé ça tellement reposant et appréciable. Et en même temps un vrai challenge, parce qu’il fallait trouver des traductions qui marchent en français. Mais on voyait tout de suite qu’on était dans un autre univers et stylistiquement dans quelque chose de ciselé et d’assez extraordinaire. De toute manière, la Peuplade publie d’excellents textes, donc quand ils nous demandent une traduction, on sait qu’on peut y aller les yeux fermés (lire l’entretien avec Julien Delorme, directeur commercial de la Peuplade).
Amenez-vous des textes aux éditeurs ou est-ce que ce sont principalement des traductions qui vous sont commandées ?
Il s’est trouvé que la plupart des traductions que j’ai faites étaient des demandes d’un éditeur. J’ai eu de la chance de ce point de vue-là, je pense. Les coups de cœur que j’ai eus pour l’instant, je n’ai jamais réussi à les faire acheter par un éditeur. Ça demande énormément de travail et puis c’est celui des agents en théorie. Il faut vraiment connaître tous les éditeurs, savoir qui a besoin de quoi, ou envie de quel type de texte. Ça commence à venir, avec la confiance qui se noue au fur et à mesure avec les éditeurs.
J’ai une pile énorme de livres que j’aimerais traduire, en tous genres, mais notamment en jeunesse.
Ça fait 10 ans que j’ai envie de traduire une série de romans de fantasy young adult, qui est extrêmement bien. Malene Sølvsten dont je parlais avant a créé tout un univers vraiment fouillé, qui mêle la mythologie scandinave au quotidien et à une sorte d’intrigue presque de roman policier au début et plus ou moins fantastique. Je trouve ces ouvrages excellents, mais jusqu’à présent les réponses des éditeurs soulignent qu’ils ne prennent que de la fantasy anglo-saxonne, parce qu’ils ne peuvent pas lire le texte original. Donc c’est non immédiatement parce que ce sont des tomes de 500 à 700 pages.
Ce qui représenterait un trop gros risque financier ?
Exactement. Même s’il y a beaucoup d’aides de la part de l’équivalent scandinave du CNL, qui est très généreux d’un point de vue financier. Il y a aussi une aide à la fabrication en plus d’une aide à la traduction, ce qui est un vrai soutien à la traduction des romans scandinaves, mais aussi des albums.
L’équivalent du CNL des pays nordiques joue un rôle aussi pour les traducteurs. Par exemple, tous les deux ans environ, ils organisent des grandes rencontres au moment des salons du livre locaux, une sorte d’université d’été. Et on se retrouve à une soixantaine de traducteurs du danois ou du suédois vers toutes les langues de tous les pays, avec les mêmes problématiques, puisqu’on travaille sur les mêmes textes. Et ainsi, on peut facilement s’envoyer un mail si on sait qu’untel traduit le même texte, pour savoir comment il a interprété la chose. C’est passionnant.
Traduire est certes un travail très solitaire, mais on a vraiment ce réseau de collègues sur lequel on peut s’appuyer.
Pas seulement ceux de notre langue, puisque justement on ne traduit pas les mêmes textes. Et on peut se conseiller des textes. Là, il y a deux/trois titres qui viennent de faire le tour des réseaux de traducteurs : et je pense qu’un coup de cœur d’un traducteur, c’est à ne pas négliger.
Quelles sont les difficultés de traduction auxquelles vous êtes souvent confrontée ?
Quand on traduit du scandinave, tout le monde tutoie tout le monde, donc on se retrouve embêtés avec le tutoiement et le vouvoiement aussi. À chaque livre, il va falloir choisir à quel moment ajouter "Vous pouvez me tutoyer" (rires) ! Et puis dans les albums, on ne peut pas mettre de notes de bas de page, donc il faut bien trouver des équivalences culturelles sur ce qu’ils sont en train de manger, l’humour, etc. Une des choses qui revient souvent aussi dans les albums, ce sont les noms et les prénoms des personnages. En français, ils peuvent vraiment sembler trop étranges. Donc il faut souvent modifier.
Mais globalement, dans les albums jeunesse, j’adore travailler tout à la fois sur le rythme et les sonorités. Ce n’est pas toujours facile, mais ça me semble important de maintenir ces rimes. Comme dans les comptines, il y a une importance de ces éléments pour la mémorisation grâce à la musicalité, ce que les enfants adorent. Alors certes quand on traduit, c’est peut-être parfois plus maladroit que dans la langue d’origine, d’autant qu’on n’a pas toujours assez de temps à consacrer à chaque album pour le "peaufiner" autant qu’un recueil de poésie, par exemple. Mais je fais au mieux pour rendre un texte qui fonctionne de la façon la plus fluide et musicale possible.
Je lis souvent mes textes à voix haute devant mon ordi, et je les teste souvent sur mon entourage, petits et grands !
Une fois, j’ai même réussi à me tirer moi-même une balle dans le pied. J’ai traduit un album qui s’appelle Dix petits chevaux fêtent Noël. Ces chevaux sont les personnages principaux et portent des noms que je n’ai pas beaucoup modifiés par rapport à l’original, parce que je les trouvais mignons. Sauf qu’il y a eu un tome 2, Dix petits chevaux font la course, dans lequel il était très important de faire rimer les noms des petits chevaux sur chaque page. Donc je me suis retrouvée avec les mêmes petits chevaux et des rimes à faire, et il fallait en plus que ça aille avec le dessin de la page. Essayer de faire rimer Lord par exemple, ou Doïdoï… ! Ça semble aller de soi maintenant lorsqu’on lit l’album, mais sur le moment ça a demandé énormément de temps de réflexion et de recherche. Et le summum, ça a été “Pistache”, je me réjouissais de pouvoir l’associer avec les vaches, mais elles étaient dessinées sur la page d’après (rires). Je l’ai fait rimer avec “bravache”…
Ce qui tient d’un vocabulaire assez soutenu pour les enfants, et permet aussi de les confronter à quelque chose de recherché…
C’est quelque chose auquel je tiens beaucoup dans les albums que je traduis : on a beaucoup d’échanges de mails à ce propos avec les éditrices des albums ! Et j’adore certains de nos échanges mails sur les détails les plus improbables. Une des questions qui revient régulièrement étant de savoir si le vocabulaire n’est pas trop compliqué, peut-être pas adapté au lectorat français. Mon argument étant de dire qu’il faut bien qu’ils apprennent un jour et que c’est l’occasion ou jamais ! Évidemment, ça dépend de l’âge envisagé, mais parfois on peut passer des heures sur comment on va dire ça en français pour que ce soit vraiment le plus fidèle, mais aussi le plus lisible possible.
Ce sont des âges auxquels on lit encore les albums avec les enfants qui sont de vraies éponges et ont l’occasion de nous poser toutes leurs questions pour éclaircir les doutes qu’ils peuvent avoir sur tel ou tel mot. Le bagage linguistique se joue également à cette période…
J’essaye vraiment toujours de trouver les mots justes et puis ne pas appauvrir en traduisant, au contraire. Et puis il y a aussi une richesse des images et de la culture dans les images.
Je trouve ça tellement dommage qu’il y ait cette réticence vis-à-vis des albums danois, parce que les éditeurs trouvent ça “moche”.
Parce que le style de dessin danois peut sembler un peu “brouillon”, comme on dirait en français. C’est souvent du crayonné, les têtes sont déformées par rapport au reste du corps. Mais je pense que justement si on dit que c’est moche, c’est mal comprendre que les enfants ne vont pas le voir comme ça forcément. Ils vont trouver ça différent. Là où les éditeurs ont raison bien sûr, c’est que vendre des livres c’est aussi un business. Et que ce sont les parents qui achètent les livres et ils ne vont pas les prendre s’ils les trouvent moches. Je peux comprendre cette mécanique. Il y a aussi cette réticence par rapport aux sujets tabous abordés auprès des enfants et des ados : personnellement je trouve qu’il faut s’ouvrir le plus possible, à d’autres cultures et à tout. Surtout à notre époque où le renfermement sur soi semble prendre le dessus.
En tant que lectrice, qu’attendez-vous d’un texte littéraire ?
Ça dépend vraiment du genre ! C’est un peu le problème de quand on est traducteur, on a une sorte de déformation professionnelle. Et forcément, quand je lis un texte scandinave, je ne peux pas m’empêcher de penser à comment ça se traduirait et ce que je choisirais. Ce qui est parfois un peu lourd !
Donc souvent, quand je lis pour le plaisir, je lis en anglais. Parce que je sais que ce n’est ni ma langue de départ, ni ma langue d’arrivée ; mon esprit déconnecte beaucoup plus et profite du texte sans se poser des questions existentielles sur le style français, etc. Mais je lis aussi beaucoup en français, parce qu’il faut lire en français pour entretenir la langue.
Dans tous les cas, j’aime bien une belle histoire, un style qui emporte et qui fasse oublier le quotidien. Et puis découvrir plein d’univers et de genres différents.
Dans vos lectures récentes, quelles sont celles vous ayant particulièrement marquée ?
Un de ceux qui m’avaient bluffée, mais je l’ai traduit, donc c’est un peu de la triche : Après nous les oiseaux. Je ne m’attendais pas du tout à être emportée comme ça par le texte.
Parmi les titres lus plus ou moins récemment, Civilizations de Laurent Binet, pour le clin d’œil aux sagas et une réécriture de l’histoire et puis c’était une de nos "lectures en simultané familiales". C’est une sorte de tradition de vacances en famille : lire au moins un livre en commun comme une sorte de mini-club de lecture.
Le lecteur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent, que j’avais trouvé très touchant. De tous les livres qui parlent de livres, de l’écriture, des bibliothécaires, sujet qui comme par surprise a de grandes chances de me plaire, c’est bien le premier que j’ai lu qui évoque ce terrible passage au pilon !
Les Marins ne savent pas nager de Dominique Scali m’a enivrée par la légende d’Ys, le personnage de Danaé, l’inventivité de la langue… et la chance d’avoir rencontré l’autrice qui est adorable en prime !
Comme je le disais, j’aime lire en anglais pour mes lectures disons détentes : Jonathan Strange et Mr Norrell de Susanna Clarke m’avait fascinée et embarquée et j’avais beaucoup aimé The Crow Road d’Iain Banks, mais ça peut aussi être les Outlander de Diana Gabaldon (publiés en français chez J’ai lu, ndr), ou encore Margaret Atwood, ou Hamnet de Maggie O’Farrell (publié chez Belfond, ndr).
Le tout dernier ouvrage que j’ai lu c’est le petit jubilatoire Comment jouir de la lecture de Clémentine Beauvais (collection Alt de chez Lamartine, ndr). Pour moi, c’est comme Matin Brun de Franck Pavloff, un genre de livre universel qu’on devrait distribuer dans les boîtes aux lettres de tout le monde. Et je relis Dune de Franck Herbert (chez Robert Laffont, ndr) avant d’aller voir le film. Je suis de ceux qui aiment lire - voire n’aiment pas ne pas avoir lu - le livre avant de voir un film ou une série qui en est adapté. Et j’aime beaucoup regarder des films et des séries !
Plus j’avance en âge - depuis le temps au collège où j’avais pour ambition de lire tous les livres qui existent… - et plus j’ose découvrir d’autres horizons, souvent sur conseils d’amis/collègues ou en allant presque les yeux fermés en faisant confiance à certaines maisons : j’ai ainsi découvert récemment des romans traduits du japonais par Sophie Rèfle, du roumain par Florica Couriol, ou des langues traduites par Chloé Billon (lire son entretien) pour ne citer que ces exemples. J’aime aussi toujours découvrir les textes pour adultes des auteurs pour la jeunesse et inversement, ou des textes jeunesse qui me bouleversent tout autant qu’un roman adulte, et tous ces textes jeunesse qui permettent d’expérimenter sur le style, la forme, le jeu avec l’image, etc. Je viens aussi de lire le roman Arctique solaire de Sophie Van der Linden (chez Denoël, ndr), amie depuis ce même colloque de Cerisy qui m’avait apporté la traduction de mon premier album, spécialiste de littérature jeunesse et de Claude Ponti en particulier : son roman parle d’une femme peintre suédoise, Anna Boberg, voilà une autre jolie boucle de bouclée !
Quels sont les textes que vous aimez particulièrement offrir ?
J’aime évidemment offrir en fonction de la personne. L’avantage avec les albums, c’est qu’il y a souvent des enfants un peu partout et j’aime choisir l’album en fonction de l’âge, de la problématique.
Il y un album que j’aime beaucoup offrir aux adultes aussi, qui s’appelle Le Château d’Emma Adbåge, qui est sur la jalousie. Et ça marche très bien pour tout le monde. Mais mon préféré, c’est peut-être Mon premier Hamlet de Barbro Lindgren et Anna Höglund (tous deux chez Cambourakis, ndr). C’est une parodie d’Hamlet dans un format qui est une parodie d’album pour enfant. C’est également une parodie des albums pour les tout-petits qui, en Suède, sont en parler bébé. Et donc ce n’est pas un bon suédois. Ce qui est très difficile à traduire, parce qu’en français, les albums doivent être dans une langue correcte. Ou alors, il faut jongler et beaucoup discuter avec les éditeurs et éditrices. J’y avais passé un temps fou !
Un dernier mot ?
En pensant à notre échange, je suis de nouveau frappée par l’importance de la littérature jeunesse dans mon travail, y compris lorsque je traduis pour les adultes. Tove Jansson par exemple est de celles qui oscillent entre la candeur d’une âme d’enfant et la causticité d’une longue vie d’adulte. Et je suppose que c’est un fil rouge dans ce que je traduis. À l’exception des polars - mais il faut bien une exception pour confirmer la règle -, encore que nombreux sont les personnages qui me touchent le plus dans les polars que j’ai pu traduire à avoir un lien étroit avec l’enfance, à commencer par La mort d’une sirène de Rydahl et Kazinski où le personnage principal n’est autre que… le conteur Andersen. Même ma thèse parlait de double-lectorat et faisait le pont entre l’enfance et le monde adulte chez Ponti, et le sujet d’un de mes mémoires de maîtrise était le lien entre Andersen et Dickens.
L’autre chose qui m’a toujours fascinée, et finalement ma thèse en est aussi la preuve, mais tout aussi ce que j’aime lire et traduire, c’est l’intertextualité, et les références au-delà même des textes à toutes sortes d’œuvres d’art, du cinéma à la peinture, etc.
J’adore aussi les réécritures, que ce soient celles qui impliquent les contes (Andersen, folkloriques…), la mythologie (nordique, grecque, etc.), Shakespeare, Frankenstein ou même Jane Austen ou les Brontë, pour ne citer que ces exemples. je suis en train de traduire un album de Cecilia Heikkilä qui s’inspire de l’atmosphère des Hauts de Hurlevent, je me régale ! La lecture est plurielle et c’est fascinant de pouvoir faire des ponts entre la BD, le roman, les arts : c’est essentiel.