pages sauvages

View Original

Oxyne Vercammen : “Le bibliothécaire est investi d’un pouvoir énorme dans la constitution des collections.”

Maillon important de la chaîne du livre : les bibliothécaires ! Avec Oxyne, qui exerce la profession à Bruxelles, nous avons pu discuter du métier, de ses défis, de ses responsabilités, de ses multiples missions. Et puis de littérature, puisqu’elle est aussi une passeuse de livres des plus passionnées

Depuis quand es-tu bibliothécaire ? Où travailles-tu ?

Eh bien ça fait 17 ans - au secours ! - que je travaille dans la même bibliothèque publique communale, située dans le sud-est de Bruxelles. J’y ai commencé à mi-temps pour compléter le mi-temps que je faisais au théâtre du Rideau de Bruxelles, où j’avais été engagée après mon travail de fin d’études. J’ai laissé tomber le mi-temps au théâtre pour me consacrer à la bibliothèque et je suis passée à ¾ temps (28 h) quand mon fils est rentré à l’école primaire. À l'époque, ils recherchaient une personne pour compléter l’équipe chargée de redynamiser le réseau tenu jusque-là par des bénévoles. Moi, en l'occurrence, j’ai été engagée pour créer et développer la section adultes. On est donc parties de zéro : constituer des collections, établir un plan de classement, étudier le territoire, établir des partenariats, faire des travaux d’aménagement, créer et informatiser le réseau en intégrant notamment la ludothèque… Ça a été un gros gros chantier qui a duré plusieurs années. Mais c’était très enthousiasmant de participer à toutes ces étapes de construction. La bibliothèque a continué à développer ses collections et étendre ses activités, malgré un gros turnover dans l’équipe. 

Actuellement, la bibliothèque emploie huit personnes, dont deux à temps plein. Le reste est à temps partiel et on gère un réseau de deux bibliothèques et une ludothèque. Jusqu’à la semaine passée, je gérais seule la section adultes, mais alléluia, on vient d’engager une fille avec qui je m’entends bien en CDI à mi-temps et qui, pour une fois, souhaite plus travailler en section adultes qu’en jeunesse. Je vais devoir changer mes habitudes de cowgirl solitaire, mais ça promet d’être bien de travailler plus en binôme. 

Qu'est-ce qui t'a menée vers ce métier ?

Je savais que je voulais travailler dans le domaine des livres et de la littérature, mais j’étais hyper naïve et mal renseignée donc à part faire Lettres, je ne voyais pas bien quoi faire d’autre. Je me voyais bien travailler en librairie ou en bibliothèque. J’ai donc postulé dans la bibliothèque que je fréquentais et la directrice m’a demandé si j’avais le diplôme requis.

Et comme beaucoup de personnes j’ai répondu : “Ah bon il faut un diplôme de bibliothécaire ?”. Je peux donc difficilement en vouloir aux gens qui expriment le même étonnement quand je leur dis qu’il faut faire des études pour exercer le métier. Elle m’a dit que c’était facile et que le métier était chouette. Facile oui mais assez chiant aussi (rires) ! J’ai terminé la première année, mais bien décidée d’en rester là. C’est un concours de circonstances particulier qui m’a motivée à reprendre après une année sabbatique. J’ai donc fini par obtenir ce diplôme qui m’a servi pour être engagée là où je suis aujourd’hui. 

Je n’étais même pas certaine de vouloir travailler en bibliothèque, un centre de doc aurait pu me plaire aussi. Même si au final je pense que ces deux métiers sont très différents.

Et je maintiens, n’en déplaise à mes collègues, que c’est un métier qui peut tout à fait s’apprendre sur le tas.

Les compétences s’acquièrent avec l’expérience et puis, comme partout ailleurs, tu peux très bien t’épanouir dans un endroit et dépérir dans un autre, en fonction des collègues, de ta hiérarchie, ou de la répartition des tâches. Chez nous, chacune est invitée à être polyvalente. 

Et donc, après tout ce temps, si je suis encore là, c’est parce que j’ai bénéficié d’une grande liberté d'action. Ça, c’est l’avantage de travailler seule au sein d’une équipe confiante. Par contre, j’ai eu récemment un petit retour de bâton concernant mon devoir de neutralité, j’avoue que ça m’a filé le bourdon, je me suis interrogée sur la question de l’engagement, de la militance, du métier passion, et sur ce que ça impliquait de travailler pour un service public, au sein d’une administration…

Mais bon je ne vais pas cracher dans la soupe. Ce que je fais à la bibliothèque est possible justement parce que c’est un service public qui bénéficie de financements et de subsides, j’ai une responsable et des collègues qui me soutiennent énormément. Donc je mesure la chance de pouvoir développer des projets dans une structure existante avec des ressources pas négligeables. Et avec une politique qui ne soit pas d’extrême-droite.

Qu'aimes-tu le plus dans ton rapport aux lecteurs ?

Ah c’est amusant, c’était ma première idée de podcast : évoquer dans une conversation intime ce rapport entre les lecteurs et la bibliothèque. J’avais choisi quelques habitué.e.s avec qui je ne parle pas spécialement, mais avec qui j’avais envie de discuter de ça et de leur lien à la bibliothèque. J'avais fait un épisode 0 avec une fille qui est devenue une amie depuis, mais rien que l’idée de devoir réécouter, couper, monter, nettoyer le son, enfin tous ces trucs techniques, j’étais découragée. J’ai donc laissé tomber cette idée, d’autant plus que ça n’allait intéresser personne (rires).

Mon rapport au lecteur est souvent très superficiel, il y a énormément de personnes que je vois presque toutes les semaines depuis des années et avec qui on échange juste les formules de politesse et c’est tout. Et puis en vérité, la plupart du temps, en fonction de l’affluence, tu n’as pas la possibilité de discuter, tu es juste là pour scanner les livres à la chaîne, répondre au téléphone, faire des inscriptions, réserver dix tomes de Naruto… Ce rapport au public, ce n’est pas ce qui m’enchante le plus, on est plus dans la notion de service et donc dans une relation plus unilatérale que dans la médiation proprement dite, mais ce contact reste important évidemment.

Mais il y a plein de personnes que je suis toujours contente de voir arriver et avec qui on échange sur les bouquins. C’est évident que ça se fait plus facilement avec des gens qui partagent les mêmes goûts ou qui sont curieux. 

Et justement pour le conseil, c’est plus facile en bibliothèque qu’en librairie par exemple. On peut être plus à l’aise, plus audacieux : que le lecteur prenne un ou dix livres, le prix sera le même.

Le non-marchand est confortable, donc on ne risque rien à glisser un des ses coups de cœur dans la pile.

Au pire, la personne va rendre le livre avec le marque-page coincé au début du livre, en disant “c'était pas mal, mais un peu spécial quand même.” 

Et c’est là que l’enjeu devient intéressant. Jouer un peu avec l'algorithme “si tu as aimé ça, tu aimeras ça” pour en venir à “si tu n’as pas aimé ça, essaye ça”. Je m’amuse comme je peux, mais je pense que cette petite brèche-là est exploitable, le truc “ça ne coûte littéralement rien d’essayer”. Et s'il existe un endroit où c’est possible, c’est bien la bibliothèque.

Il faut nuancer, là où je bosse, c’est quelque chose qui est possible car ma bibliothèque est fréquentée par un public socio-culturellement privilégié, où le livre est aussi considéré comme un bien culturel d’ouverture sur le monde et éducatif, au même titre que d’aller au spectacle ou au musée. Pas sûre que ce truc soit applicable dans des communes avec des réalités plus dures et un rapport à la bibliothèque et au livre moins évident.

La relation avec le public de jeunes lecteurs est-elle dans la même lignée ?

Le rapport le plus chouette reste quand même celui avec les enfants. Ils adorent la bibliothèque. Il y a les enfants qui viennent spontanément, qui sont acquis à la cause, on va dire, et qui accompagnent leurs parents. Et puis il y a les enfants qui n’ont jamais vu une bibliothèque de leur vie, à qui on n’a jamais raconté d’histoires et qui découvrent tout ça lors d’une visite avec la classe.

Quand ces enfants-là reviennent en dehors du cadre scolaire en entraînant leurs parents derrière eux, on atteint un objectif. Susciter cette envie-là chez l’enfant, c’est génial.

Comme s’il comprenait intimement que c’est un endroit qui lui est dédié, avec un accès à des imaginaires infinis. C’est un endroit où il est permis de toucher, de lire sur place, juste être là, entouré de bouquins. C’est déjà une expérience, et si en plus ça lui permet de s’approprier un lieu, de désacraliser l’objet-livre tout en le respectant comme un bien commun partagé, c’est cool. Ça a l’air idiot de dire ça, mais il n’en existe pas tant des endroits où les enfants sont libres de faire tout ça. Les visites dans le cadre scolaire sont importantes aussi, car les enfants sont affranchis du filtre parental qui interdit à l’enfant de prendre une BD parce que “ce n’est pas de la vraie lecture”. L’enfant se trouve dans un cadre où il choisit seul. Donc le boulot que font mes collègues avec les enfants est absolument essentiel. 

Quelles sont les demandes auxquelles tu es la plus confrontée ? Que recherchent les lecteurs de la bibliothèque où tu travailles ?

Ils viennent principalement chercher des livres, les nouveautés, de la distraction. Les mercredis après-midi et samedis matin, pendant cinq heures, tu passes ton temps à scanner des livres presque non stop. C’est du boulot à la chaîne, un peu abrutissant. Pour une fois, je ne cracherais pas sur un peu de technologie en installant des bornes de prêt et de retour automatiques. Si ça permet de dégager du temps pour être plus dans le service et le conseil, je prends sans hésiter. 

Pour ce qui est des animations, celles pour les enfants marchent du tonnerre. Les lectures, les ateliers créatifs, les spectacles jeunesse rencontrent toujours leur public. Celles pour les adultes, c’est plus compliqué. On essaie plein de trucs différents, mais l’offre culturelle en ville est hyper vaste et les gens n’identifient pas la bibliothèque comme “lieu culturel où il se passe des choses” en dehors des heures d’ouverture. 

Quelles sont les fonctions d'une bibliothécaire ?

Vaste vaste question ! Et dont la réponse différera d’une personne à l’autre. Et je parlerais peut-être plus de missions que de fonctions. 

C’est un métier hyper polyvalent dont les volets les plus évidents concernent, je dirais, la gestion des collections et de l’information, l’accueil des publics et les actions de promotion de la lecture publique.

Donc en dehors des heures d’ouverture au public, il y a un faisceau de tâches et d’actions hyper variées selon les enjeux et les objectifs que l’on veut atteindre.

Un de ces objectifs est de fidéliser un public qui vient déjà, mais aussi de se faire connaître des publics qui, pour une raison ou une autre, ne viennent pas jusqu’à nous, les publics empêchés ou éloignés de la lecture. Ca veut dire répondre du mieux qu’on peut à des besoins en fonction de publics spécifiques comme les ados, les personnes âgées, les nouveaux arrivants, des publics précarisés ou fragilisés. Ça passe par des partenariats avec les maisons de repos, les crèches, les maisons de quartier, le milieu associatif, les écoles…

Sur une journée tu peux faire la lecture à un groupe classe, avoir une réunion professionnelle, monter une expo, encoder des livres, organiser un atelier d’écriture, réfléchir à une nouvelle manière de classer les documents, préparer les prochaines animations et les prochaines commandes, bricoler un truc pour un atelier créatif, préparer les lectures, faire des tables thématiques, de la communication sur les réseaux sociaux, des affiches, rédiger des rapports, faire des statistiques, préparer les livres pour le prêt à domicile, accueillir des classes FLE, etc.

La liste est loin d’être exhaustive ; on est amené à faire un tas de trucs pour lesquels on n’a pas les compétences, qu’on apprend sur le tas. C’est souvent la débrouille, avec les moyens qu’on nous donne. C’est une profession qui demande beaucoup de flexibilité, de la créativité et des capacités d'adaptation assez inimaginables parfois.

Parce que de plus en plus, on exige de nous d’être des médiateurs culturels, de se réinventer, cette histoire de métier en mutation, mais ça n'évolue pas partout de la même manière (rires). Et clairement il n’y a pas que le métier ou nous qui devons évoluer, les mentalités aussi. Ne fût-ce qu’en termes d’image, dire que tu es bibliothécaire à des inconnus, c’est pas très glamour. Pas plus tard que la semaine passée, une dame qui venait pour la première fois m’a demandé si j’étais bénévole et sans attendre ma réponse, a ajouté que ça devait être chouette d’avoir beaucoup de temps pour lire… Et ce type de réflexions, c’est tout le temps, je n’exagère pas le trait. C’est comme si la (quasi) gratuité du service induit l’idée qu’on travaille bénévolement. C’est un drôle de raccourci. Donc les gens, s’il vous plaît, il faut vraiment arrêter de croire qu’on travaille pour la beauté du geste et qu’on passe notre temps à lire ou à ranger les livres. 

On peut parler de plein de trucs encore, les acquisitions par exemple, le quoi, comment et pourquoi, c’est énorme comme question. Comme disent les “Deux connards dans un bibliobus” dans leur podcast éponyme, le bibliothécaire est investi d’un pouvoir énorme dans la constitution des collections. Il suffit d’imaginer un gouvernement d’extrême droite qui confie la politique d’acquisition à une personne qui a des convictions puantes, ça va clairement se refléter sur les tables de présentation. Le fait que je sois seule à décider des acquisitions c’est une grosse responsabilité, et c’est une dérive aussi. D’où la question des compétences, de la légitimité, moi je ne pense avoir ni l’un ni l’autre… C’est chaud quand même !

Comment envisages-tu ce lieu qu'est la bibliothèque ?

Le concept de bibliothèque troisième lieu, qui soit autre que l’espace professionnel ou privé, me plait. Encore plus si tu n’as que l’un ou l’autre ou aucun des deux. Bon ici on reste au stade du concept et on le restera encore longtemps, car on est vraiment loin du compte, à de nombreux points de vue. Le devoir de réserve auquel je suis tenue fait que je ne peux pas trop étayer mes propos, mais à notre niveau, on fait ce que l’on peut, le reste doit se passer dans les sphères plus élevées. Et garder à l’esprit que la réflexion en amont doit se faire avec les professionnels, les personnes qui sont sur le terrain et avec la population aussi.

Le troisième lieu pour moi c’est avant tout symbolique, c’est l’endroit safe où tu peux venir comme tu es, à tout moment.

Après je sais qu’il y a pas mal de personnes qui sont plutôt réticentes à l’idée de révolutionner nos missions, c’est devenu un métier intranquille, je pense, car les remises en question sont permanentes et qu’il est facile de dériver ou de se disperser sur un concept aussi large que celui de troisième lieu. 

L’idée d’appliquer certaines méthodes de marketing dans les bibliothèques, moins de livres mais mieux présentés, par exemple, est de plus en plus acceptée. Des espaces aérés et une belle mise en place, ça sous-entend beaucoup de choses : que devient le concept de conservation dans ces nouveaux modèles de bibliothèques ? Cela entraîne aussi l’énorme question de l’écologie du livre…  Comment adapte-t-on la politique d’acquisition, moins sur la question idéologique ou morale comme je l’ai évoqué avant, mais en termes d'équilibre à atteindre entre ce que le public espère trouver - la plupart du temps des lectures loisir et plaisir - et donner le plus grand aperçu possible de l’offre éditoriale. La surproduction, on la subit aussi en bout de chaîne. Les livres élagués (désherbés) ne subissent pas le pilon, mais leur temps de vie en bibliothèque se réduit par rapport à il y a quelques années et risque de se réduire encore plus, je me demande vraiment ce qu’on peut y faire.

Cette chaîne du livre, tu la mets d’ailleurs à l’honneur avec un nouveau projet, Ricocher. Peux-tu nous parler un peu de ces rencontres avec des acteurs du monde du livre que tu organises à la bibliothèque ?

Oui, en effet ! Au départ, l'idée était de faire un podcast.

La question de la chaîne du livre m’intéresse vraiment beaucoup. J’estime en faire partie, même si j’ai l’impression qu’on est un peu isolé par rapport aux autres maillons.

Je dis ça sans amertume, mais à partir du moment où on parle d’une chaîne, je trouve intéressant de savoir qui en fait partie et comment tout ça s’articule et surtout comment faire face à une série de défis ou comment s’entraider ou se soutenir, car ça a un impact sur notre fonctionnement et nos missions. 

Donc au cœur du podcast, il y avait la notion de “passeur et passeuse de livres”, et je l’avais imaginée divisée en trois saisons. La première saison devait s’attacher aux professionnels du livre, un peu comme ce que tu fais avec pages sauvages. La deuxième saison devait interroger des lieux et des programmateurs d’événements autour du livre. Et la troisième saison devait s’intéresser aux médiateurs et médiatrices qui travaillent avec des publics éloignés ou empêchés, ainsi qu’à des bibliothèques auto-gérées, des lieux militants qui ont intégré des bibliothèques dans leurs espaces. 

J’avais vraiment envie de partager ça avec le public de la bibliothèque, c’était donc destiné à se retrouver sur notre site. Mais comme je l’ai dit avant, l’aspect technique m’a fortement rebutée et le faire à moitié ou pas bien, ça ne m’intéressait pas. Je me suis donc dégonflée pour le podcast, mais l’idée ne m’a pas lâchée.

Et puis c’est en discutant du contrat de filière du livre avec ma responsable que je me suis dit que ça avait du sens de programmer les rencontres en live, même pour un public restreint, quitte à les enregistrer en audio ou vidéo. J’ai donc repris le titre que j’avais choisi pour feu mon podcast “Ricocher, les rencontres avec les passeurs et passeuses de livres”. Et c’est avec ce format que j’ai programmé mes deux premières rencontres. Je tenais absolument à recevoir Julien Delorme (lire son entretien), que je ne pense pas devoir présenter. Pour l’avoir déjà invité à donner une formation sur les maisons d’édition indépendantes à destination des bibliothécaires, je savais que c’était le candidat idéal. Je tenais également à inviter Anne-Lise Remacle qui est journaliste littéraire indépendante, ainsi qu’une formidable modératrice et passeuse. Julien et Anne-Lise sont amis et à eux deux, ils incarnaient à la perfection l’idée de ce que seraient ces rencontres. Ils ont donc été mes premiers invités, et ça s’est passé comme je l’avais imaginé, et même mieux.

En réalité j’ai juste élargi les rencontres que j’organisais déjà avant avec des auteurs et autrices aux autres acteurs et actrices du monde du livre. En tout cas, je suis très contente de la suite du programme, les rencontres seront en partie nomades à partir de cet automne et vont donc sortir des murs de la bibliothèque, ce qui correspond parfaitement à l’esprit du projet. 

En tant que lectrice, qu'attends-tu d'un texte littéraire ?

Ça va paraître banal, mais une belle osmose entre la forme et le fond. Je me rends compte que mes goûts évoluent énormément, je me sens un peu pressée par le temps, je suis souvent assez vite insatisfaite, moins patiente, notamment quand il s’agit de s’investir dans de longs textes. J’ai tout le temps l’horrible sensation de passer à côté des bons textes, alors j’expérimente, et j’essaie d’aller vers plein de trucs différents. Je peux être interpellée sur un sujet, sur une forme ou un style.

Quels sont les derniers textes lus que tu as particulièrement aimés ?

Justement sur la question du sujet, j’ai lu Freshkills de Lucie Taieb (publié par La Contre Allée, ndr) qui dans son intro dit à quel point elle est obsédée par la question des déchets depuis sa lecture de Outremonde de Don de Lillo. J’ai eu exactement la même chose, j’ai lu Outremonde il y a bien 20 ans je pense et la question des déchets me hante toujours. Le livre de Lucie Taïeb est excellent. 

Sur la question de la forme, je me rends compte que je suis fort attirée dernièrement par la forme brève, comme Adelheid Duvanel que j’ai découvert cette année, Nourrir la pierre de Broncka Niwicka (Corti, traduction de Cécile Bocianowski), Inventaire des choses perdues de Judith Schalansky (Ypsilon, traduction de Lucie Lamy) ou encore les nouvelles de Conceição Evaristo

Et là, je m’apprête à lire Chiennes de garde de Dahlia de la Cerda (Sous-Sol, traduction Lise Belperron)

Et en BD, j’adore le travail de Lisa Blumen et Anne Simon.

Quels sont les livres que tu recommandes le plus souvent à la bibliothèque ?

Ça fait quelques années que je colle des cœurs sur le dos des livres que j’aime bien. C’est pas évident d’être toujours au taquet quand on te demande un conseil de lecture, surtout quand le livre auquel tu penses est déjà emprunté. Donc ça aide quand j’ai une demande ou quand je ne suis pas là. Aki Shimazaki est très facile à recommander pour les petits livres, Richard Powers pour les formes longues, Indian Creek de Pete Fromm, Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf, Deborah Levy (lire l’interview de Céline Leroy, sa traductrice), Becky Chambers et Ursula Le Guin font aussi partie de ma liste de base. Bon, il y en a plein d’autres évidemment, la plupart du temps c’est du cas par cas, quand je connais les goûts des lecteurs et lectrices, c’est assez facile. Pour les nouveaux, on tâtonne et on ajuste au fur et à mesure. 

Quels sont ceux que tu aimes offrir ?

En y réfléchissant, des livres assez fins et plutôt positifs en général. L’Oiseau canadèche de Jim Dodge (publié chez Cambourakis, ndr), Nos cabanes de Marielle Macé (aux éditions Verdier, ndr), Apprendre si par bonheur de Becky Chambers (publié par L’Atalante, ndr), par exemple. Ou un coup de cœur récent ou quelque chose que je n’ai pas lu mais que je sais qui va correspondre. Après tout, c’est mon métier d’être bien informée sur les livres et de les connaître sans les avoir lus (rires).

Un dernier mot ?

Merci de me donner la possibilité de parler d’un métier encore et toujours trop méconnu et peu reconnu, mais vraiment passionnant et bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il est d’ailleurs très difficile d’en parler justement parce qu’il est méconnu. Moi, j’ai toujours l’impression de devoir me justifier, comme quoi c’est un vrai boulot, qu’on a aussi de quoi faire en télétravail, qu’on lit comme tout le monde le soir après le taf, entre autres préjugés qui nous poursuivent encore…

Donc à bas l’aigreur et le cynisme, vive l’enthousiasme, parlons de nos métiers et de ce qui nous donne envie de le faire bien.

Je tiens à dire aussi que tout ceci n’engage que moi à ce moment-ci de ma vie et avec la réalité que je connais.

Si je peux me permettre, je voudrais vraiment recommander le podcast “Deux connards dans un bibliobus” que j’ai évoqué un peu avant. C’est un podcast que j’attends chaque mois avec impatience, qui parle du monde des bibliothèques et toute sa complexité, mais pas que ! Allez juste jeter un coup d’œil sur les titres de leurs épisodes, ça donne le ton et une idée des sujets abordés. Ils arrivent à être drôles, irrévérencieux et décomplexés comme il faut sur des questions sérieuses, ils font le taf à ta place pour la veille documentaire et la littérature scientifique anglophone que je ne prends pas le temps de lire. Personnellement, leurs discussions alimentent mes propres réflexions, c’est forcément moteur, ça rebooste mais ça aide aussi à prendre de la distance. A écouter absolument. 

Autre référence que je conseille sur la question, c’est Désherbage, le livre de Sophie G. Lucas aux éditions La Contre Allée.