Solveig Touzé : “On avait envie que tout le monde puisse trouver des choses qu’il aime dans la librairie.”

Si vous passez par Rennes, ne manquez pas de pousser la porte de La Nuit des temps, cofondée par Solveig Touzé et Ayla Saura. Un lieu de vie où se côtoient littérature générale et un rayon de sciences humaines plus engagé. Rencontre avec Solveig

Vous découvrir sur les réseaux sociaux m’a donné envie de faire une étape rennaise et de venir découvrir la librairie, il y a quelques années. Avant même l’ouverture de la librairie, vous étiez très actives sur les réseaux sociaux. Quel était l’objectif ?

On a beaucoup communiqué en amont sur le projet. L’idée pour nous, c’était d’ouvrir la librairie avec déjà pas mal de gens qui nous suivaient, parce qu’on avait besoin de faire un financement participatif. Donc on voulait montrer à quoi allait ressembler notre projet. Et ça a tout de suite pas mal pris. Avec Ayla, on s’est toujours un peu demandé ce qui avait généré cet engouement, surtout sur les réseaux sociaux. On pense que c’est peut-être parce qu’on a une communication pas spécialement formelle. On essaie d’être naturels dans notre manière de nous adresser aux gens, de faire des blagues et ça a peut-être instauré de la proximité avec les gens. Mais c’est vraiment de l’analyse au doigt mouillé !

On voulait se dire que le premier jour où on ouvrait, le 1er août 2017, on avait déjà mis en place des commandes clients que les gens pourraient venir récupérer dès l’ouverture, qu’on ne partait pas avec une base 0. Quand on a démarré le projet avec Ayla, on avait 500 euros à deux…

Vous aviez beaucoup de pression donc en ouvrant la librairie ! Après six ans d’exercice, quel est le bilan ?

On se disait qu’on n’avait pas le droit à l’échec ! Et il faut se dire aussi que ce qu’on défendait, en termes de valeurs, à savoir féminisme, queer, etc. il n’y avait pas beaucoup de librairies qui proposaient ça à ce moment-là. On était quelques mois avant #MeToo et il n’y avait pas encore cette déferlante de librairies militantes, que l’on peut voir maintenant.

Ça marche très bien, donc on est hyper contentes ! Le pari est réussi, puisque maintenant on est quatre à bosser à la librairie. Nos deux employés sont en CDI, donc c’est le premier signe que ça marche bien. Le bilan, c’est aussi de se dire qu’on a bien fait de miser sur une librairie généraliste. J’ai pu voir récemment pas mal de consœurs dans des librairies un peu spécialisées sur les questions de féminisme qui galéraient un peu.

On a l’impression que c’est la partie généraliste de la librairie qui nous a permis d’être à l’abri de ce genre de problème. Et en même temps, c’était une vraie volonté. Déjà parce que quand on a ouvert, ça n’avait pas de sens, en 2017, d’ouvrir une librairie féministe, parce qu’on n’aurait pas eu de quoi la remplir. Il n’y avait pas assez de publications sur le sujet pour que ce soit pertinent. On avait peur que ce soit une marotte de notre part, parce que c’étaient des sujets qui nous intéressaient. Et puis on avait envie que tout le monde puisse trouver des choses qu’il aime dans la librairie. Mais en parallèle, on a développé un rayon sciences humaines, avec des sujets qui nous tiennent à cœur. Et on a vu que ça marchait. Donc peu à peu, on a augmenté le rayon féminisme. Mais encore aujourd’hui, la librairie reste généraliste. Je pense qu’on a des clients qui ne savent pas du tout qu’on a un rayon sciences humaines très engagé et qui viennent parce qu’ils veulent chercher leur roman, parce qu’on est leur librairie de quartier. D’autres gens, au contraire, viennent plus spécialement pour la partie sciences humaines. Et nous, c’est ce dont on avait envie : pouvoir croiser des publics.

Cela vous permet aussi de sensibiliser certains lecteurs de la partie générale sur la partie sciences humaines ?

Carrément ! On a beaucoup de femmes, plutôt jeunes, à partir d’une trentaine d’années, qui venaient vraiment pour la littérature. Et puis un jour, je ne sais pas, un questionnement, et puis en roman elles nous demandent des conseils sur des thématiques un peu féministes, donc on leur met Le Chœur des femmes de Martin Winckler (publié chez P.O.L., ndr) entre les mains, ou des choses comme ça. Et elles reviennent pour aller dans le rayon sciences humaines, pour compléter des choses. Ce qu’on n’aurait pas pu faire si on avait été estampillées uniquement librairie féministe et militante parce qu’en fait, ces personnes-là ne seraient jamais rentrées. Il y a des ponts qui peuvent se faire entre plein de choses. Et j’aime bien l’idée de pouvoir un peu fonctionner en sous-marin aussi.

Comment affinez-vous votre sélection de titres proposés ?

De l’art de la vitrine thématique

On a 80m², donc ce n’est pas énorme. Ça montre aux gens qu’on fait vraiment des choix. On n’a aucun mal à avoir sur les tables des choses très grand public, surtout en littérature. On fait vraiment une différence entre ce qu’on propose en littérature et en sciences humaines. En littérature, on n’a pas du tout envie d’être élitistes, on n’est pas là pour juger ce que les gens lisent en tant que loisir. En sciences humaines, par contre, on sera beaucoup plus exigeantes parce qu’en ce qui concerne la diffusion d’idées, on ne met pas n’importe quoi entre les mains des gens. Mais sur table, on aura le dernier Lévy, le dernier Musso parce que si ceux qui veulent ce genre de livres entrent en librairie indépendante, déjà, et s’ils trouvent ce qu’ils veulent, ils vont pouvoir revenir. Et à ce moment, on pourra discuter et éventuellement les emmener sur autre chose. Mais il faut faire attention à une position très verticale, qui viserait à déterminer "Tiens, c’est ça la bonne littérature".

Et laisser sur le bas-côté un certain nombre de lecteurs…

On est qui pour penser qu’on a un avis définitif sur la lecture ? Ce n’est pas parce qu’on est libraires qu’on est des lecteurs différents des autres. On a nos sensibilités, nos subjectivités. C’est la richesse de l’expérience de ce métier, quand on lit beaucoup, beaucoup, beaucoup. Mais j’ai changé par rapport à il y a une dizaine d’années : maintenant, quand je n’aime pas un livre, je suis capable de m’interroger. Pourquoi est-ce que je n’aime pas. Est-ce que c’est au niveau de l’écriture que ça me gêne ? Est-ce que je pense que c’est un problème de traduction ? Est-ce que c’est une question de mauvais moment pour ma lecture, parce qu’à ce moment-là je ne suis pas réceptive à ce genre de texte, d’histoire ? Et de pouvoir vraiment argumenter sur ce qu’on n’a pas aimé d’un livre, c’est aussi comprendre instantanément comment ça peut plaire à quelqu’un d’autre.

Redescendons les libraires du piédestal sur lequel on les a longtemps mis ! Il faut toujours se méfier de cette espèce de concours visant à voir qui a les goûts les plus légitimes : on est adultes, on peut sortir de ça. C’est super classiste. En tant que libraire, on ne peut pas vouloir que tout le monde lise et faire du chiffre d’affaires, tout en laissant de côté ceux qui lisent des choses qu’on n’estimerait pas être assez bien : il y a une vraie dissonance là-dessus. C’est aussi un discours qui est véhiculé par les critiques et les émissions littéraires : il faudrait lire ceci et pas cela. On en fait un enjeu alors que l’on est censé passer un moment de plaisir. Il faut arrêter d’en faire un marqueur socio-culturel.

Cela tient-il à une forme d’élitisme du milieu littéraire en France ?

Le milieu éditorial français est très élitiste. On le voit déjà à la couverture des livres, ce sont souvent des objets très austères. Quand tu vois ce que sont capables de faire les anglo-saxons en terme de couverture. Il y a aussi tous les prix, qui sont une espèce de méritocratie et de copinage qui génèrent des trucs un peu dégueulasses. Et puis il y a un truc très français, que je n’aime pas du tout, et c’est pour ça que je lis plus de littérature étrangère aussi je crois : c’est cette idée de talent et de génie. Dans plein d’autres pays, surtout les pays anglo-saxons parce que c’est ce que je connais le mieux, il y a cette idée du travail. Alors qu’en France, l’auteur ruisselle de génie et il écrit son texte, sans même le relire parce qu’il est formidable et n’a pas besoin de travailler. Mais ça sort d’où ce truc ? Tu as des gens de l’autre côté de l’Atlantique qui galèrent sur des cours de creative writing parce que c’est du travail, un artisanat, c’est reprendre son texte. Et puis cette idée du génie supporte mal la critique, parce que tu ne peux pas attaquer sur la technique, sur quoi que ce soit… Et il faut arrêter avec ça ! Je ne suis pas non plus pour l’idée que les auteurs devraient être d’une constance mécanique : on peut pardonner à un écrivain d’écrire un mauvais livre. Moins à son éditeur de l’avoir publié tel quel. L’auteur est humain lui aussi et on n’est pas toujours au top ! Mais tu ne peux pas rejeter un auteur de manière radicale et définitive parce que tu n’as pas aimé un jour un de ses livres. C’est très révélateur d’un besoin de perfection. Mais il faut arrêter de déifier les auteurs.

Qui sont les clients qui poussent la porte de La Nuit des temps ?

C’est assez vaste : on a pas mal de gens du quartier, effectivement. Pour la partie sciences humaines, on ratisse beaucoup plus large, parce que vraiment les gens viennent, c’est un rayon de destination, donc les gens viennent pour ça. Comme on est situés à proximité du musée des Beaux-Arts, on a aussi pas mal de touristes. Et après, une clientèle assez jeune, étudiante. On a aussi pas mal de gens qui ne sont pas de la région : ils sont passés une fois à la librairie, lors d’un passage à Rennes, et ils reviennent nous voir, ils nous le disent. Je trouve ça hyper mignon. Des fois, on en parle avec Ayla, Jérôme et Mandy : on a l’impression d’avoir créé un lieu qui nous dépasse, et qui est vraiment sorti de ses murs. Pour les gens, il représente quelque chose qu’on n’avait pas anticipé ; on voit leur attachement au lieu.

Vous pensez que vous avez répondu à un besoin ? Que ce genre d’espace manquait à Rennes ?

Quand on s’est installées, il y avait les très grosses librairies généralistes comme Le Failler, le Forum du livre ou la FNAC et puis des plus petites spécialisées en BD, en jeunesse, etc. Et au milieu, il n’y avait rien. Donc on se mettait vraiment dans ce créneau de librairie généraliste de taille moyenne. Depuis, sur la dernière année, il y a quatre nouvelles librairies qui ont ouvert à Rennes.

De ce que les gens nous font comme retour, j’ai l’impression que c’est le côté très sincère qui leur plaît : ce qu’on met en avant, ce sont des vrais coups de cœur, qu’on est dans la librairie comme on est naturellement : il y a de la musique, on discute entre nous. Ça reste un lieu de vie. En fait, je crois, enfin j’espère, qu’il n’y a rien d’artificiel. Et ça crée une espèce de proximité entre les gens et nous.

Une proximité qui peut se renforcer lors des moments de rencontres que vous organisez avec les auteurs. À quelle fréquence les organisez-vous ?

Les rencontres, on en fait à peu près deux par mois. Par rapport à d’autres librairies, on a l’impression d’en faire peu. Mais je trouve déjà ça bien. Là, sur le début de la saison, on a très peu de rencontres programmées, parce qu’avant de les organiser, on veut avoir lu le livre et eu un coup de cœur dessus. Or c’est un fonctionnement un peu à l’inverse de nombreuses librairies, qui fixent les rencontres dès qu’ils voient les programmes de rentrée. Et nous, on n’est jamais des foudres de guerre sur la rentrée littéraire : on ne commence jamais à lire dès avril, quand on reçoit les premières épreuves, parce qu’on considère qu’il y a encore des textes pour les vacances qui valent d’être lus et conseillés. On lit la rentrée pendant nos vacances d’été. Ce qui est très tard par rapport à certaines librairies. Et là on s’est retrouvés à se dire à la rentrée que tous nos coups de cœur sont invités dans d’autres librairies. Donc c’est le risque, ce n’est pas grave. On sent que sur cette rentrée, on y est allé un peu piano piano : mais ça n’empêche pas d’avoir des rencontres de prévues. Et puis ça dépend aussi de nos lectures. Pour ma part, sur cette rentrée, je n’ai lu quasiment que de la littérature étrangère, donc forcément c’est plus gênant pour inviter les gens, quand ils ne font pas de tournée en France ! Et puis cette année, on a aussi choisi de lancer une soirée de présentation de nos coups de cœur de rentrée.

Face à la masse de textes qui sont publiés, c’est précieux aussi d’avoir des libraires dont on apprécie en général les choix, qui mettent en lumière les livres qu’ils ont aimés…

Oui et puis je pense que pour les gens c’est bien de pouvoir repérer qui parmi nous a lu et aimé, parce qu’on a vraiment des goûts et des personnalités différentes. Ce que Jérôme, Mandy ou Ayla aiment, n’a pas forcément grand chose à voir avec ce que je vais préférer. C’est pour ça aussi que depuis un an, on a changé notre mode de présentation des coups de cœur : avant, on avait des petites fiches cartonnées, d’un modèle unique. Et maintenant, on signe nos coups de cœur ; on se rend compte que pour les gens, c’est hyper pratique, parce qu’il y en a qui s’identifient vraiment sur les goûts de tel ou tel libraire.

L’équipe de choc de La Nuit des temps

Être quatre libraires, avec des goûts variés, cela vous permet aussi de toucher un plus large nombre de clients. Travailler avec une équipe, c’est donc une richesse pour votre établissement ?

Complètement ! Ça s’est fait un peu comme ça, ce n’était pas réfléchi. À la base, avec Ayla, on a des lectures quand même assez différentes. Et Jérôme nous a rejointes. Et Jérôme, c’est quand même une personnalité en soi. Il était déjà libraire avant, il a une cinquantaine d’années, il a tenu une librairie à Rennes pendant une quinzaine d’années… C’était aussi une figure locale : les gens viennent pour lui. Il ajoute ses propres briques à l’édifice. On a deux vitrines : une grande d’un côté, et une un peu plus petite sur l’autre. Et quand on avait décidé de le garder en CDI, pendant un peu plus d’un mois, la petite vitrine, c’était celle de Jérôme. Et c’était vraiment tout ce qui en termes de coups de cœur BD, romans, art le représentait. Et on avait fait une table à l’intérieur, qui avait hyper bien fonctionné. Ça avait vraiment donné l’impression aux clients de pouvoir cerner un peu plus qui c’était. Et là, maintenant que Mandy est passée en CDI depuis quelques semaines, on va refaire la même chose avec elle, comme une introduction. On sent que les gens sont très friands de ça, d’apprendre à nous connaître.

On a des personnalités qu’on ne cherche pas à effacer et on essaye de gommer l’aspect hiérarchique pour laisser à Jérôme et Mandy une place dans la librairie, qui soit la même que la nôtre. Ils peuvent avoir des choix affirmés, ce ne sont pas de simples manutentionnaires. Là, par exemple, ils ont prévu de s’amuser à faire une grosse vitrine sur le psychédélisme ! C’est leur truc et on est toujours super ouvertes à leurs propositions. C’est aussi leur librairie.

Qu’est-ce qui vous épanouit le plus au quotidien dans ce métier ?

J’adore chercher des idées de sélections thématiques. Des fois, un thème nous intéresse et on se dit qu’on va faire une grosse vitrine dessus et en général, ça plaît. Un jour, avec Jérôme, on s’est lancé sur le Moyen-Âge, là on vient d’en préparer une sur Manger. Et donc choisir sa thématique et voir ce qu’on va y mettre, ce qu’on a lu, même il y a hyper longtemps. Pour les posts Instagram aussi, j’aime bien chercher des trucs un peu rigolos. Comme les horoscopes, par exemple, qui avaient super bien fonctionné, la relation musique/bouquins, séries/bouquins. En fait, montrer que le livre n’est pas du tout décorrélé de tout ce qui se passe autour de nous, dans le monde et dans nos vies. Et qu’au contraire, on peut associer ça et qu’on peut en rire aussi, on n’est pas obligés de se prendre au sérieux. L’année dernière, on a fait la vitrine de Noël avec des pulls affreux qu’on a trouvés sur Vinted, ça a fait rire tout le monde. Est-ce qu’on n’est pas là pour passer un bon moment ?

Quels sont les types de livres que les gens recherchent le plus en ce moment ?

Toute la rentrée littéraire vend pas mal. C’est une rentrée assez chouette, parce que l’année dernière elle avait été très écrasée par le Virginie Despentes, les autres romans avaient assez peu de chances. Alors que cette année, c’est beaucoup plus large. Et après, en sciences humaines, toujours beaucoup les essais féministes.

Les gens nous demandent toujours des romans pas trop tristes, parce que j’ai l’impression que le reste de l’actualité les plombe un peu. Ça pour le coup, on aime bien lire des trucs un peu plombés parfois, donc on n’a pas forcément tout de suite des tas d’idées qui nous viennent à l’esprit.

En ce moment, je ne distingue pas de tendances hyper marquées, par rapport à d’autres périodes. Si ce n’est peut-être un peu plus de livres de poche, parce qu’avec l’inflation, on sent que les gens essayent de réduire un peu plus le budget. Mais en même temps sont tout à fait prêts à nous suivre sur des coups de cœur. Ils sont très captifs, si on leur dit que c’est super. Même si on ne les poussera jamais à acheter du grand format. Mon objectif, ce n’est pas qu’ils repartent avec un sac plein, mais avec exactement le livre dont ils ont besoin, qu’ils soient contents et qu’ils reviennent un mois plus tard parce qu’ils ont envie d’acheter autre chose. On n’est pas là pour vendre à tout prix : on sera toujours honnêtes dans nos retours et on ne cherche pas à les bourrer de livres. J’ai envie que les gens me fassent confiance : donc si j’ai adoré, je le dis mais si j’ai trouvé ça nul, je n’hésiterai pas à le dire aussi. Même si c’est un retour subjectif. Et puis ça ouvre à la conversation, quoi qu’il en soit. Sinon, comment est-ce qu’ils sont censés nous croire après ?

On sent que vous avez cette envie d’ouvrir la littérature à tous, d’en faire un lieu d’échange. Il y a une forme d’engagement social dans la manière dont vous exercez votre métier ?

C’est important de voir ce qu’on fait des publics empêchés. On fait des interventions dans des écoles, il y a quelques temps, avec un centre social, on a organisé une après-midi à la librairie avec des jeunes.

Je fais aussi des interventions en prison. À la prison des femmes de Rennes, on essaie de caler une intervention par mois et on va essayer de mettre quelque chose en place avec des détenues qui n’ont pas accès à la médiathèque, parce qu’elles sont en quartier de prévention de la radicalisation. L’idée serait de leur créer un coin livre dans leur quartier. Mais ça demande vraiment une sélection qui soit à la fois pointue pour répondre à plein de critères, tout en correspondant aussi à ce qu’elles ont envie de lire.

Les rencontres avec celles en détention classique, c’est très intéressant : on rigole et on échange beaucoup. Elles ont été choisies pour le prix Goncourt des détenus, certaines lisent pour le Prix Wepler : donc on discute aussi de tout ça. L’idée c’est aussi de pouvoir faire des listes de commande pour la médiathèque. Donc j’arrive, je leur présente des coups de cœur et puis on choisit ensemble.`

J’aime bien aussi sortir de la librairie, parler de mon métier, parler avec des gens qui ne rentrent pas en librairie, savoir pourquoi ils ne viennent pas : c’est trop loin, c’est trop cher. Ça plante des graines et ça ne coûte pas grand chose de le faire. Sans pour autant jouer à la sauveuse ! Ce qui compte avant tout, c’est l’échange.

En tant que lectrice, qu’attendez-vous de vos lectures ?

J’attends d’un texte qu’il me donne envie de ne pas aller travailler, pour pouvoir rester avec lui. Alors que pourtant j’adore mon métier et que je suis toujours très heureuse d’aller travailler. Ça peut tenir à une bonne narration, à des personnages bien campés et de plus en plus je suis persuadée que ça tient à la disponibilité qu’on a vis-à-vis d’un texte. Ça peut être des critères tellement volatiles, que plus ça va, plus il me semble qu’au-delà de la technique d’écriture, il y a un petit truc un peu magique qui se joue. Tu ne sais pas toujours expliquer, quand tu ouvres un texte, ce qui fait que tu es immédiatement happée. On ne sait jamais pourquoi ça vient particulièrement résonner en nous. Tu peux passer à côté d’un texte parce qu’à un moment donné, c’est beaucoup trop proche ou beaucoup trop loin de toi.

Et des fois, tu fais des rencontres avec un livre, même si ça fait quatre ou cinq ans qu’il t’attend, mais c’est le moment : les planètes s’alignent. Et c’est magique ! Peut-être qu’il ne faut pas toujours chercher à expliquer ce qui se passe. Comme dans les rencontres avec les gens.

“Un livre génialement construit”

Quels sont les livres que vous offrez le plus souvent ?

J’offre beaucoup Océan mer d’Alessandro Barrico. Et aussi Eureka Street de Robert McLiam Wilson. Je trouve que c’est un livre génialement construit. C’est aussi très drôle. Mais l’auteur, régulièrement, te met des petites taloches derrière la tête pour te rappeler où tu es. Et où tu es, c’est l’Irlande des années 1990. Il a cet art dans la narration de te décentrer d’un truc pour y revenir au bon moment, qui est vraiment de l’ordre du génie.

Quel est votre dernier coup de cœur ?

Celui dont je parle à tout le monde, c’est le Gabrielle Zelvin, Demain et demain et demain (publié chez Fleuves éditions, ndr) : c’est incroyable. Ça c’est le genre de livre, tu l’ouvres et tu fais une rencontre qui va marquer ta vie. Et je suis contente, parce que je suis une personne qui continue à douter de ses goûts. Donc des fois je lis un livre et je suis subjuguée par ce texte, donc je veux en parler à tout le monde. Et puis après, je commence à me dire que j’ai peut-être gonflé les choses, que s’ils n’aiment pas, ça va un peu me blesser. Et pour le moment, tous les gens qui l’ont lu le trouvent génial aussi !


Les infos en plus :

  • Pour vous rendre à la librairie, rendez-vous 10 quai Emile Zola - 35000 Rennes

  • Pour suivre le compte Instagram de La Nuit des temps, vous informer des prochaines rencontres, découvrir les coups de cœur des libraires et ne manquer aucune de leurs vitrines thématiques, c’est par ici.

  • Solveig participe également à l’organisation du festival Dangereuses lectrices, qui aura lieu les 21 et 22 octobre 2023. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Précédent
Précédent

Guillaume Mélère : “J’ai l’impression que les textes que l’on publie sont vraiment très très atypiques et immédiatement étonnants.”

Suivant
Suivant

Yan Lespoux : “J’ai découvert la différence entre le sprint de la nouvelle et le marathon du roman.”